
Comment récupérer votre argent d’une société radiée ?
Sommaire
Société radiée ne veut pas dire argent perdu. Vous pouvez encore recouvrir votre créance, mais la fenêtre d’action se compte en mois, pas en années. Un an maximum après la clôture de la liquidation pour assigner la société, 30 jours si elle vient juste d’être dissoute. Passé ces délais, votre facture impayée rejoint le cimetière des créances irrécouvrables.
La question n’est pas de savoir si c’est théoriquement possible. Elle est de savoir ce que vous devez faire concrètement, dans quel ordre, avec quel budget, et surtout : est-ce que ça vaut vraiment le coup dans votre cas ?
Parce qu’entre la procédure sur papier et la réalité du recouvrement effectif, il y a parfois un gouffre.
On voit ensemble ici les étapes qui marchent, les pièges qui coûtent cher, et les moments où mieux vaut lâcher prise.
Points clés à retenir
- 1 an maximum après la clôture de la liquidation pour agir contre une société radiée du RCS, 30 jours seulement si elle est simplement dissoute
- Vous devez obligatoirement faire désigner un mandataire ad hoc par le tribunal avant toute assignation d’une société radiée
- Votre créance doit être certaine, liquide et exigible : sans ces trois conditions réunies, inutile de lancer la procédure
- Budget réel entre 1 500€ et 5 000€ selon la complexité, pour un délai de 8 à 18 mois minimum avant recouvrement
- Poursuivre directement le dirigeant en responsabilité personnelle est souvent plus efficace si vous prouvez une faute de gestion
Vérifiez d’abord si vous êtes encore dans les délais
Société radiée du RCS : vous avez 1 an après la clôture de la liquidation
Votre client vient d’être radié du registre du commerce et des sociétés ? Vous avez encore une fenêtre d’action. La loi prévoit un délai d’un an à compter de la clôture de la liquidation pour agir. Ce n’est pas la date de radiation qui compte, mais bien celle où le liquidateur a terminé son travail et publié la clôture au BODACC.
Prenons un cas concret. Votre client SAS Dubois vous doit 23 000€. La société a été dissoute le 15 janvier 2025, puis liquidée. Le liquidateur publie la clôture des opérations le 12 mars 2025. Vous disposez alors jusqu’au 12 mars 2026 pour saisir le tribunal. Pas un jour de plus. L’article L640-5 du Code de commerce est formel sur ce point.
Société dissoute mais pas radiée : vous avez 30 jours après publication au JAL
La situation change du tout au tout si la société est simplement dissoute sans être encore radiée. Dans ce cas, le compteur tourne beaucoup plus vite. Vous avez 30 jours à partir de la publication de l’avis de dissolution de la société dans un journal d’annonces légales pour vous opposer à cette dissolution.
Pourquoi cette opposition ? Parce qu’une fois la liquidation clôturée et la radiation effective, la procédure devient plus lourde. En vous opposant rapidement, vous bloquez le processus et obligez le liquidateur à régler votre créance avant toute radiation. C’est une arme redoutable si vous réagissez dans les temps.
Comment trouver votre date limite précise ?
Consulter Infogreffe ne suffit pas toujours. Le site vous indique si la société est radiée, mais pas forcément la date exacte de clôture de la liquidation. Pour obtenir cette information cruciale, direction le BODACC. Tapez le nom de votre débiteur dans le moteur de recherche. Vous y trouverez l’avis de clôture publié par le liquidateur.
Ce document mentionne noir sur blanc la date à partir de laquelle votre délai d’un an commence à courir. Sans cette date précise, impossible de calculer votre fenêtre d’action. Gardez une copie PDF de cet avis, vous en aurez besoin pour constituer votre dossier devant le tribunal de commerce.
Les 3 exceptions qui prolongent ou suspendent ces délais
Les règles ont leurs exceptions.
Premier cas : si le liquidateur a commis une faute dans la clôture des opérations, notamment en omettant volontairement des créances connues, le délai de prescription peut être suspendu. Vous devrez prouver cette faute, mais ça ouvre des portes.
Deuxième situation : la découverte tardive d’actifs.
Si vous apprenez après la radiation que la société détenait encore des biens non liquidés, vous pouvez demander la réouverture des opérations.
Troisième exception, plus rare : l’ouverture d’une procédure collective après radiation.
Dans ce cas, les articles L631-5 et L640-5 du Code de commerce permettent d’assigner la société dans l’année qui suit la radiation pour demander un redressement ou une liquidation judiciaire.
Maintenant que vous savez si vous êtes dans les clous temporellement, voyons comment agir concrètement pour récupérer votre argent.
La procédure pas à pas pour récupérer votre argent
Prérequis : votre créance doit être certaine, liquide et exigible
Avant de lancer quoi que ce soit, vérifiez que votre créance remplit trois conditions cumulatives.
Elle doit être certaine : son existence ne fait aucun doute. Une facture signée, un bon de commande, un contrat font l’affaire.
Elle doit être liquide : le montant est déterminé ou déterminable. Pas de « environ 10 000€ », on veut du précis.
Enfin, elle doit être exigible : le délai de paiement est dépassé.
Si vous aviez accordé un paiement à 90 jours et que la société a été radiée au 85ème jour, techniquement votre créance n’était pas encore exigible à ce moment. Mais rassurez-vous, l’ouverture d’une procédure de liquidation amiable rend toutes les créances immédiatement exigibles, même celles à terme.
Étape 1 : demander au tribunal la nomination d’un mandataire ad hoc
Une société radiée n’a plus de représentant légal. Qui va recevoir votre assignation ? Qui va défendre (ou plutôt ne pas défendre) au tribunal ? C’est là qu’intervient le mandataire ad hoc. Vous devez saisir le président du tribunal de commerce compétent pour qu’il nomme ce représentant temporaire.
La requête se fait par assignation ou requête selon les juridictions.
Prévoyez les pièces suivantes : copie de vos factures impayées, extrait Kbis de radiation, avis de clôture du BODACC, et tout document prouvant vos démarches de recouvrement amiable antérieures. Le président désigne généralement un ancien liquidateur ou un avocat. Une fois nommé, ce mandataire devient votre interlocuteur officiel.
Étape 2 : assigner la société radiée devant le tribunal de commerce
Mandataire désigné ? Vous pouvez maintenant assigner la société. L’assignation doit être rédigée par un avocat (obligatoire devant le tribunal de commerce pour les procédures de ce type) et signifiée par huissier au mandataire ad hoc. Dans l’assignation, exposez les faits, rappelez la créance certaine liquide et exigible, et demandez la condamnation de la société au paiement.
Petit détail qui compte : mentionnez explicitement la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui reconnaît que la personnalité morale d’une société radiée subsiste tant qu’elle a des dettes ou des créances. Cette base juridique solide renforce votre dossier. Le tribunal fixera une date d’audience, généralement dans les 2 à 4 mois suivant l’assignation.
Étape 3 : obtenir une condamnation et exécuter le jugement
Le jour de l’audience, le mandataire ad hoc se présente rarement pour contester. Normal, il n’a aucun intérêt à défendre une coquille vide. Le juge rend alors un jugement par défaut condamnant la société à vous payer. Ce jugement devient votre titre exécutoire.
Sauf que voilà, condamner une société radiée à payer, c’est une chose. Récupérer concrètement l’argent, c’en est une autre.
Si la société n’a plus aucun actif (cas le plus fréquent malheureusement), votre jugement vaudra le papier sur lequel il est écrit. C’est pourquoi beaucoup de créanciers privilégient une autre voie : aller directement chercher le dirigeant.
Plan B : poursuivre directement le dirigeant
Dans quels cas la responsabilité du dirigeant peut être engagée ?
Le gérant ou le président a précipité la dissolution de la société pour échapper aux créanciers ? Il a clôturé la liquidation alors qu’il savait pertinemment qu’il restait des dettes ? Vous tenez là des motifs sérieux pour engager sa responsabilité personnelle.
La faute de gestion caractérisée ouvre cette voie. Concrètement : clôture prématurée de la liquidation, dissimulation d’actifs, organisation de l’insolvabilité. Un cas fréquent concerne les dirigeants qui vident le compte bancaire de la société juste avant la dissolution pour ne laisser que des miettes aux créanciers. Ces pratiques tombent sous le coup de la responsabilité civile, voire pénale dans les cas graves.
La procédure pour action en responsabilité
Contrairement au recouvrement judiciaire classique contre la société radiée, l’action en responsabilité vise directement la personne physique du dirigeant. Vous l’assignez à titre personnel devant le tribunal de commerce (si la faute est liée à la gestion) ou devant le tribunal judiciaire (si vous invoquez une faute délictuelle).
L’assignation doit démontrer trois éléments : une faute du dirigeant, un préjudice (votre créance impayée), et un lien de causalité entre les deux. Vous devrez prouver que c’est bien la décision fautive du dirigeant qui vous a empêché d’être payé. Par exemple, si vous établissez qu’au moment de la clôture, la société disposait encore de 15 000€ en banque et que le dirigeant les a virés sur son compte personnel, le lien est évident.
Avantages et limites de cette solution
L’avantage majeur ? Vous visez le patrimoine personnel du dirigeant. Même si la société n’a plus un centime, le dirigeant peut avoir une maison, une voiture, un salaire saisissable. Ça change tout en termes de chances de recouvrement effectives. Et comme vous n’avez pas besoin de passer par un mandataire ad hoc, la procédure est souvent plus rapide.
Les limites existent néanmoins. Vous devez prouver la faute, ce qui demande du temps et des moyens d’investigation. Si le dirigeant est lui-même insolvable ou protégé par une procédure de surendettement, vous arriverez au même résultat que contre la société : un jugement inapplicable.
Enfin, cette action se prescrit par trois ans à compter de la révélation de la faute, un délai parfois court selon les circonstances.
Reste maintenant à évaluer si le jeu en vaut financièrement la chandelle. Parce que ces procédures ont un coût.
Coûts, délais et chances réelles de récupération
Budget à prévoir selon la complexité du dossier
Soyons francs sur les montants. Pour une procédure complète de recouvrement contre une société radiée, comptez entre 1 500€ et 5 000€ selon les tribunaux de commerce et la complexité du dossier.
Le détail ? Frais d’huissier pour les significations (150 à 300€), frais de greffe (environ 200€), honoraires d’avocat (entre 1 200€ et 4 000€ selon qu’il s’agisse d’une procédure simple ou d’un dossier nécessitant plusieurs audiences).
Si vous devez d’abord faire désigner un mandataire ad hoc, rajoutez 500 à 800€. Et on ne parle ici que de la première instance. Si vous devez faire appel, multipliez ces montants par 1,5 à 2.
Voilà pourquoi certains créanciers renoncent lorsque la créance est inférieure à 3 000€ : le coût de la procédure mange une grosse part du montant récupérable si cela n’est pas la totalité.
Combien de temps prend la procédure de bout en bout ?
Patience sera votre meilleur allié. Entre le dépôt de votre requête pour désigner un mandataire ad hoc et l’obtention d’un jugement définitif, comptez 8 à 18 mois dans les tribunaux les moins engorgés. Dans certaines juridictions surchargées, le délai peut grimper à 24 mois.
La chronologie type ? 2 mois pour obtenir la désignation du mandataire, puis 3 à 6 mois entre l’assignation et la première audience, ensuite 1 à 2 mois pour le délibéré du jugement. Si vous devez exécuter ce jugement via une saisie, rajoutez 3 à 6 mois supplémentaires.
Bref, vous avez saisi : c’est un marathon, pas un sprint.
Taux de succès réels : quand ça marche et quand c’est perdu d’avance
Les statistiques des tribunaux de commerce montrent qu’environ 30% des procédures contre des sociétés radiées aboutissent à un recouvrement effectif au moins partiel. Mais ce chiffre cache deux réalités opposées. Quand la société avait encore des actifs non liquidés ou quand vous parvenez à faire condamner personnellement le dirigeant, le taux de succès grimpe à 70%.
En revanche, si la société était véritablement vide au moment de la radiation et que le dirigeant n’a commis aucune faute caractérisée, vos chances tombent sous les 10%.
Comment savoir dans quelle catégorie vous vous situez ? Demandez à un huissier de faire une enquête préalable sur le patrimoine de la société et du dirigeant. Ça coûte 200 à 400€, mais ça vous évite de dépenser 3 000€ dans une procédure vouée à l’échec.
Un dernier conseil pratique : automatisez votre surveillance des clients avec un logiciel de recouvrement pour détecter les signaux faibles avant qu’il ne soit trop tard. Parce que le meilleur recouvrement reste celui qu’on n’a pas besoin de faire.
Ce qu’il faut retenir avant de vous lancer
Vous connaissez maintenant la mécanique complète. Reste à prendre la bonne décision pour votre situation.
Parce que toutes les créances ne méritent pas qu’on engage une procédure lourde. Parfois, passer à autre chose coûte moins cher qu’un combat juridique perdu d’avance.
| Votre situation | Délai limite | Procédure à suivre | Budget moyen | Chances réelles |
| Société dissoute, pas encore radiée | 30 jours après publication JAL | Opposition à la dissolution | 800-1 500€ | Élevées (70%) |
| Société radiée depuis moins d’1 an | 1 an après clôture liquidation | Mandataire ad hoc + assignation | 1 500-3 500€ | Moyennes (30%) |
| Société radiée + faute du dirigeant | 3 ans après révélation de la faute | Action en responsabilité personnelle | 2 000-5 000€ | Élevées si faute prouvée (70%) |
| Société radiée depuis plus d’1 an | Délai dépassé | Aucun recours juridique possible | – | Nulles (0%) |
Le calcul est brutal mais nécessaire.
Si votre créance fait 2 000€ et que la procédure va vous coûter 3 000€, vous perdez de l’argent même en gagnant.
Si la société n’avait plus aucun actif au moment de la radiation et que le dirigeant n’a rien fait de répréhensible, votre jugement restera lettre morte.
En revanche, si vous avez une créance de 20 000€, que vous êtes dans les délais, et qu’une enquête patrimoniale révèle des biens saisissables chez le dirigeant, foncez.
Dernière chose : ne reproduisez pas cette situation avec d’autres clients.
Mettez en place une surveillance active de vos débiteurs avec les fonctions de gestion du risque client d’un logiciel de recouvrement qui vous alerte dès les premiers signaux de défaillance. Parce que le meilleur recouvrement reste celui que vous anticipez avant qu’il ne devienne un contentieux.




